Mathieu Bonardet, Sans titre (diptyque), 2016, mine de graphite sur papier marouflé sur bois, 165 x 141 cm.
« Replis »
de Mathieu Bonardet
20 mai – 20 juillet 2016
En marge de son expertise en art impressionniste et moderne, la Galerie Gradiva a le plaisir de vous annoncer le lancement, ce printemps, d’un pôle dédié à l’art contemporain, avec une série d’expositions monographiques tournées vers une scène créative émergente.
La première proposition, consacrée à l’artiste Mathieu Bonardet, (dont le travail est représenté par la galerie Jean Brolly, Paris), rassemble ici, à travers un projet curatorial de Fanny Lambert, une dizaine d’œuvres sur papier récentes, et en volume autour de l’idée de « repli » dont la grande majorité n’a jamais été dévoilée au public.
Le titre évoque, en fil rouge, à travers chacune des postures adoptées, l’empreinte de ce pli refermé sur lui-même, de cette forme qui a tendance à se rabattre vers l’intérieur, face à l’immensité des lieux qui l’accueille.
Mathieu Bonardet, Sans titre (gouffre), mine de graphite et poudre de graphite sur papier, 63 x 166 cm.
Tout paysage s’organise autour d’une dialectique du visible et de l’invisible qui,
de toute façon, caractérise notre appréhension du monde.
Gilles A. Tiberghien (1)
« Replis » de Mathieu Bonardet
Le contraste habite l’œuvre de Mathieu Bonardet. Tout du long, le graphite, sa matière première, tranche avec le blanc du papier, comme une étonnante fusion du détail et de la matière. Les lignes se font fidèles à l’oeil mais poursuivent, autonomes, leurs fuites respectives.
Dans ce règne de la tension, rigueur, précision et contrôle s’inventent face à la sensualité du geste qui transpire, la vibrance des effets, la souplesse des textures. Rien n’est proprement figé ni totalement volatile. Regardeur, on vogue dans cette ambivalence qui nous conduit vers des paysages mentaux. Nous ne savons plus rien. Si notre perception vacille à force de persistance rétinienne ou si ce paysage se retourne sur lui-même : « Soudain, le sentiment merveilleux de s’engloutir dans la terre, tandis que devant ses yeux éblouis et égarés de penseur et de poète s’ouvre un abîme »(2). Une perception désignée par Merleau-Ponty comme « actes à deux faces »(3) et ce que les phénoménologues nomment ailleurs, « horizon intérieur ». Ainsi, le paysage et son insertion seront envisagés telle « une ligne au-delà de laquelle plus rien n’est visible »(4).
Chercher l’équilibre, le point de gravité, la mesure juste. Cet outil de mesure, Mathieu Bonardet l’obtient à partir de son corps qui devient repère absolu. La distance ne semble être valable pour l’artiste qu’en fonction de ce que son corps est capable d’atteindre. Une échelle qui se ballade dans ces paysages abstraits faits de failles, de gouffres et d’échappées lumineuses. Si l’horizon a longtemps été en ligne de mire de l’artiste, ce dernier semble décidé désormais à l’aborder autrement. D’où peut être cet horizon intérieur qui jaillit de ces nouvelles formes concaves et ramassées.
Avec Replis, Mathieu Bonardet abandonne peu à peu l’horizontal pour glisser littéralement vers la verticalité. Une tension aigüe et dilatée pourtant se fait sentir entre le sol (la terre), la pesanteur (ascension) et ces « espaces-contre », comme il les nomme. Tous issus de la contrainte, ils convergent vers des abysses matriciels. « La liberté du geste n’existe que dans la contrainte » explique l’artiste en quête de « forces contraires »(5). Dans ce périmètre du soi qui se replie sur lui-même, il faudra accepter cela, précise-t-il, et en laisser trace. En répondent ces oeuvres sur papier pensées sans fond où l’horizon n’est plus toujours à hauteur du regard. Il se dessine en dégradés dans une chute infinie. Il se cherche, à la limite ; définie par celle que ses bras lui permettent.
Rythmes, silences et envolées coexistent. Le dessin s’affranchit de sa bi dimensionnalité, se détache pour apparaître en volume. La grande majorité des pièces réalisées pour l’espace d’exposition répondent en effet à cette intention de dresser le dessin au-delà de ses limites propres, et de l’émanciper des murs qui ont pour habitude de le soutenir. Dans une eurythmie idéale, le sfumato compense avec la lisière stricte des interstices, nous aspire en même temps qu’il nous revient, tel le pli qui peut s’observer d’un côté ou de l’autre et se dédoubler à l’infini.
Fanny Lambert, commissaire de l’exposition
(1) Gilles A. Tiberghien, Pour une république des rêves, 2011, Les Presses du réel –Collection Œuvres en sociétés – Albums.
(2) « Soudain, le sentiment merveilleux de s’engloutir dans la terre, tandis que devant ses yeux éblouis et égarés de penseur et de poète s’ouvre un abîme. Ses bras et ses jambes naguère si pleins de vie sont comme figés. Le pays et les gens, les sons et les couleurs, les visages et les silhouettes, les nuages et la lumière du soleil, tout tourne autour de lui comme autant de spectres inconsistants ; il se demande : « où suis-je ? Le ciel et la terre coulent, et se mélangent précipitamment en une masse houleuse, étincelante et confusément chatoyante, de brouillard. Le chaos commence et les ordonnances disparaissent. »
In Robert Walser, La promenade, Gallimard, 2007, p. 79.
(3) Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Gallimard, Paris, 1945.
(4) Cité par Gilles A. Tiberghein, Ibid., p. 200. Michel Collot, « Point de vue sur la perception des paysages », in La Théorie du paysage en France, 1974-1994, Editions Champ Vallon, pp. 212-213.
(5) Forces contraires, exposition personnelle de l’artiste, 17/10 /2015 – 21/11/2015, Galerie Jean Brolly.
Contrast inhabits the work of Mathieu Bonardet. All along, graphite, his primary material settles with the white of the paper like a strange fusion between detail and matter. The outlines remain loyal to the faze while simultaneously following autonomously their respective vanishing points.
Within this reign of tension, rigor, precision and control, and faced with the transpiring sensuality of movement, the vibrancy of effects and the flexibility of textures establish themselves. Nothing is completely fixed nor completely volatile. As a spectator, we sail through this ambivalence leading us towards mental landscapes. We are no longer certain of anything, whether our perception oscillates because of persistence of vision or whether this landscape turns over itself: “Suddenly, the wonderful feeling of sinking into the Earth, while in unravelling in front of our marvelling and lost eyes of poets and thinkers is the opening of an abyss.” A perception described by Merleau-Ponty as a “two faced act” and that phenomenologists named the “interior horizon”. The landscape and its insertion are therefore envisaged as “a line beyond which nothing is visible”.
Searching for the balance, the point of gravity, the just measure. Mathieu Bonardet obtains the measuring tool through his body, which becomes the ultimate point of reference. Distance is only valuable to the artist insofar as what his body is able to attain. A scale wandering around these abstract landscapes constituted of faults, of pits and of luminous breakaways. Even though the horizon was for a time in the artist’s firing vision, it seems as though he now decided to approach it differently. This is perhaps the reason for this new interior horizon emerging from these concave and collected shapes.
With Replis, Mathieu Bonardet abandons little by little the horizontal to literally slide towards the vertical. An acute and dilated tension is however felt between the ground (soil/earthy), gravity (sense of ascension) and these espaces-contre, as he names them himself. As they are all derived from constraint, they converge towards matrix abysses; “Freedom of movement exists solely within constraint”, explains the artist in a quest for forces contraires. In this scope of the self that retreats on itself, this must be accepted and even leave a trace of it, according to him. These works on paper conceived without depth wherein the horizon is not necessarily at sight level respond to that. It draws itself in gradients in an infinite decline; it searches itself, at the limit, defined by that permitted by its reach.
Rhythms, silences and booms coexist. Drawing frees itself of its dual-dimensionality, detaching itself to appear in 3D. The greater part of the works designed for the exhibit indeed respond to this intention of raising the drawing beyond its own limits, and to emancipate from the walls that usually support it. In an ideal eurhythmy, sfumato compensates with the strict margin of the gaps, takes us all the while being taken, just like the fold observed from one side or the other and able to double itself up infinitely.
Fanny Lambert, commissaire de l’exposition