Texte/Image – Agnès Geoffray & Gladys Brégeon

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« Ce sera un second pôle de l’existence, qui se définira par la pure apparition à la conscience, et non par les connexions légales. Les images de ce type s’actualiseront dans la conscience, en fonction des besoins de l’actuel présent ou des crises du réel. Un film pourra être fait tout entier d’images-rêve, celles-ci garderont leur capacité de décrochage et de métamorphose perpétuels qui les oppose aux images-réel. »

Gilles Deleuze 1.

Texte / Image

Agnès Geoffray & Gladys Brégeon

23 février – 21 avril 2017

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1. GLADYS BRÉGEON, Chimie du père, 2005-2017, Film argentique et photographie argentique, 13 x 18 cm.
2. AGNES GEOFFRAY, Crigler-Naijar, 2006, Boîte lumineuse impression sur duratrans, 44 x 50 cm.
3. GLADYS BRÉGEON,  L’Œ. En Relique Optique (dispositif) II, 2017, 77 négatifs argentiques N&B 24×36, tablette lumineuse, loup, 36 x 48 cm.
4. Texte/Image, vue d’ensemble de l’exposition.
5. GLADYS BRÉGEON, Baptême au glas I, 2005, Impression numérique N&B, 35 x 50 cm. Vue de l’exposition.
6. GLADYS BRÉGEON, L’Œ. En chair particules, 2017, Calligramme 43 issu de l’ouvrage L’Œ. En pleine plaie terre (2007), impression en lettrines adhésives apposées directement au mur à l’échelle 2,50 x 1,10 m. Vue de l’œuvre réalisée in situ.
7Texte/Image. Vue d’ensemble de l’exposition. AGNES GEOFFRAY, Les Canards sanglants, 2015, Ecriture manuscrite sur papier cristal, 50 x 65 cm. AGNES GEOFFRAY, Les Gisants, 2015, Installation comprenant des photographies sur verres, 13 x 18 cm, support verre 100 x 120 cm, pieds en métal.
8. AGNES GEOFFRAY, Bloc, 2003, 14 x 17cm, Bloc de 1000 pages détachables, impression de 8 textes alternés, édité en collaboration avec La Lettre volée.
9. AGNES GEOFFRAY, Les Gisants, 2015, Installation comprenant des photographies sur verres, 13 x 18 cm, support verre 100 x 120 cm, pieds en métal. Détail.
10. AGNES GEOFFRAY, Les Télégrammes, 2016, Télégrammes remaniés et tapuscrits, 27 x 34 cm. Vue de l’exposition, détail.
11. GLADYS BRÉGEON, Les lieux de la photographie : le révélateur II, 2017, Photographie argentique 18 x 24cm, eau, révélateur, cuve en verre blanc, 50 x 30 x 30 cm sur socle 160 x 30 x 40 cm.
12. AGNES GEOFFRAY, Je ne sais plus … rien de moi, 2017, feutre.
13.GLADYS BRÉGEON, Autoportraits suspendus, 2002, 3 tirages argentiques sur papier baryté, 80 x 120 cm, Collection de l’artiste.
Photos © William Gaye

Texte / Image

Agnès Geoffray & Gladys Brégeon

De la même manière que les œuvres réunies ici n’ont de cesse de glisser du réel à la fiction, le rapport Texte/Image autour duquel celles-ci sont conviées cherche tout autant à brouiller les pistes. Intervertissant leurs rôles, entre degré de visibilité et dissimulation, le texte, comme l’image, occupent une place manifeste dans le travail d’Agnès Geoffray et Gladys Brégeon.

Le flou, la brume, les fluides concourent à cette fêlure entre l’histoire, le récit, son écriture et sa réception. Entre le document et l’archive travestie, entre véracité optique et trouble du voir, lequel des deux en dit davantage ? Le texte n’est-il qu’un simple passager ? L’image sert-elle uniquement d’appui au propos de ces graphes ? C’est tout à la fois, une lutte et une symbiose. Une résistance qui s’opère entre deux intensités. Un genre de lieu-dit imaginé où l’œuvre affleure des fictions, se joue de nous, le plus souvent en taisant sa nature. Ce que l’image refuse de dire malgré ces techniques photographiques laborieuses et perfectionnées (technologiques, donc), elle le fait en nous faisant plonger dans un bain aux bien maigres révélations. Il faudra jusqu’à malmener les images, les extraire d’elles-mêmes pour les faire remonter à la surface des choses, et, ainsi, en tirer quelque indices. A moins que la double projection du texte et de l’image s’incarne dans notre reflet dans le miroir et nous fasse apparaître littéralement. L’une et l’autre, instaurent une iconographique fantomatique, à la lisière de l’ésotérique.

A travers ces façons de donner corps à l’image et d’installer les corps au texte, Agnès Geoffray et Gladys Brégeon interrogent ce rapport équivoque et composent, chacune à leur manière, une grammaire langagière et un répertoire formel singuliers où le poids des mots, comme la résistance des corps, hurlent en silence. Des images taiseuses qui crient entre le punctum d’une historiographie personnelle fictive (Gladys Brégeon) et l’Histoire collective (Agnès Geoffray) et qui, faisant office de « pièces à convictions »2 absolues, se retrouvent les constats fragiles d’un réel peu solide. Portraits et récits se voient donc suspendus aux troubles d’une « narration falsifiante »3. Travaillant toutes deux sur les archétypes du passé, les œuvres de ces deux artistes semblent pousser à réinvestir la question du contemporain et, par voie de conséquence, celle des diverses techniques dites ou supposées « révolutionnaires » de l’image depuis la naissance de la photographie à l’apparition du film et de l’image couleur. Les procédés anciens, gages incontestables d’authenticité, facilitent l’égarement vers ces « images organes »4 qu’il nous est donné d’approcher. Ces visions forment en leur sein des postures imprécises, en équilibre. Nageant en plein suspens ou retenue à un rien, cette lente apparition, espèce de latence en proie à la transfiguration, révèle une image capricieuse, qu’il faut parfois aller chercher aux confins des entrailles. La photographie ici malmène souvent les corps. La matière aussi. A minima, elle les détourne de notre regard. 

Des autoportraits suspendus5 floutent encore la destination de ces silhouettes spectrales et, avec elles, la légitimité du portrait chez Gladys Brégeon. La matière lumineuse et épurée du texte chez Agnès Geoffray fait l’effet d’un impact produisant une substance à la fois volatile et clinique. Des néons aux textes projetés. Le message est direct, le décor, lui, a volontairement été laissé en friche. Il y a là comme une nécessaire résistance à l’œuvre. Cette équipée de « palimpsestes » ; tous ces lieux cachés, dissimulés, refoulés participent d’une évidente et surtout « inquiétante étrangeté ». Qu’il s’agisse de textes en miroir ou d’images abyssales, toutes deux habitent la nuit et s’emparent de nos peurs les plus archaïques. Via une agilité accordée au détournement, ces deux approches tordent le cou aux présupposés de la représentation et s’autorisent un démantèlement certain du réel et de ses dérives.

Au lieu de démonter le système fantasmatique produit par l’image, les œuvres d’Agnès Geoffray et Gladys Brégeon dévoient, soit par les attributs et outils photographiques qu’elles convoquent6, soit par le biais de l’archive, une logique attendue, et lui préfèrent l’ambiguïté troublée d’un temps frelaté.

Une narration « image-temps », toujours acculée, une tension viscérale entre le discours et sa figuration. En s’emparant de l’écriture et de la photographie, les œuvres d’Agnès Geoffray et Gladys Brégeon existent en mirages l’une de l’autre et fixent, par le biais de la fiction, des personnages dont ils sont eux-mêmes les témoins aveugles. Tour à tour tapuscrit, manuscrit, graphique ou sous le faciès du poème, le texte, à la fois poétique et effarant, a élu domicile dans ces œuvres à l’énigmatique destinée.

Fanny Lambert, critique d’art et commissaire de l’exposition

1 Gilles Deleuze, Cinéma 2 – L’Image-Temps, Les Editions de Minuit, 1985, p.166. A propos du « régime organique » décrit dans « Les Puissances du Faux ».
2 L’expression se réfère à une autre œuvre signée Agnès Geoffray.
3 Telle qu’elle est entendue par Gilles Deleuze : « La « description cristalline” atteignait déjà l’indiscernabilité du réel et de l’imaginaire, mais la narration falsifiante qui lui correspond fait un pas de plus, et pose au présent des différences inexplicables, au passé des alternatives indécidables entre le vrai et le faux. », op.cit.,.
4 Terme emprunté à Gladys Brégeon.
5 Gladys Brégeon, Autoportraits suspendus, 2002, Trois tirages argentiques sur papier baryté.
6 Comme par exemple, Les lieux de la photographie : le révélateur II de Gladys Brégeon. Il s’agit là d’une pièce qui s’emploie à détourner les usages de la technique photographique.

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AGNES GEOFFRAY, Série Last, 2009, Photographies encadrées 30 x 40 cm.