Quelque chose noir

Bellmer Hans
Blanchard Benoit

Bonardet Mathieu
Brégeon Gladys
Broyer Anne-Lise
Charbonnel Charlotte
Chichin Clara
Chochoy Alice
da Cunha Amaury
Daubanes Nicolas
Denis Raphaël
Deux Fred
Duvocelle Julien Adolphe

Feuillas Sarah
Finel Anne-Charlotte
Geoffray Agnès
Hugo Victor 

Lathuillière Marc
Liebaert Pierre
Llense Jonathan
Lopez Charles
Manon Christophe
Pallet Aurore
Rigaux Bertrand
Rouard Héloïse
Souilhol Doriane
Sommer Marie
Solinas Stéphanie
Touratier Maxime
Vignot Edwart
Yllanes Mario Alejandro 

Commissaire d’exposition : Fanny Lambert
Exposition collective d’œuvres modernes et contemporaines
du 5 novembre 2019 au 31 janvier 2020
Dans le cadre de Photo Saint Germain 2019

Lancement du catalogue été 2020.


Quelque chose

noir

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Charlotte Charbonnel
Ambrolitotype III, 2019
Collodion humide sur verre et aluminium noir, plomb
19 x 17 x 14 cm

Marie Sommer
Marbre #1Marbre  #2, Marbre  #3, issus de la série Surfaces, 2016
Tirage pigmentaire contrecollé et encadré caisse américaine chêne
75 x 102 cm,
Edition de 5 + 1EA, 2/5

Victor Hugo
Arbres, circa 1840
Recto/verso, encre de chine, lavis noir, crayon, fusain, gouache blanche sur papier,
22 x18 cm. Collection privée.

Fred Deux
Sperme noir, 1972
Graphite et peinture cellulosique sur papier
51 x 37 cm. Courtesy galerie Michel Descours.

Marc Lathuillère
Le Drain, 2019, (année de production 2016)
Tirage transparent sur miroir 4 mm contre-collé sur aluminium,
80 x 120 cm
Ed. 3/3.

Photos ©Stéphane Gilbert

une lumière de l’intérieur,
une lumière de l’extérieur
et le noir autour

Quelque chose noir

Vous autres, habitants des rues, vous ne savez pas ce qu’est la rivière. Mais écoutez un pêcheur prononcer ce mot. Pour lui, c’est la chose mystérieuse, profonde, inconnue, le pays des mirages et des fantasmagories, où l’on voit, la nuit, des choses qui ne sont pas, où l’on entend des bruits que l’on ne connaît point, où l’on tremble sans savoir pourquoi, comme en traversant un cimetière : et c’est en effet le plus sinistre des cimetières, celui où l’on n’a point de tombeau.[1]

Ainsi le noir en naufrage, une eau noire aux profondeurs insondables accueille le canotier et le promeneur dans ce vaste et insidieux territoire d’où les mémoires semblent avoir disparues.

« Je cherchais à voir mais je ne pus distinguer mon bateau, ni mes mains elles-mêmes, que j’approchais de mes yeux. » poursuit le narrateur de la nouvelle de Maupassant tandis qu’à l’autre bout, Léopoldine, fille aînée de Victor Hugo se noie dans une mer absolue sous les yeux impuissants de son mari.

Comme inviter à plonger dans les abysses, la proposition de Quelque chose noir se voudrait une errance dans les bas-fonds d’un champ chromatique peu discernable où se déplacent des folies tapies.

Il fallait pour cela en appeler à la prose, revenir au recueil Quelque chose noir désigné comme entrée première à cette matière, revenir à Alix Cléo Roubaud, artiste, photographe et femme de l’écrivain Jacques Roubaud. Il fallait également forcer l’inquiétante étrangeté (Das Unheimliche)[2]  à suinter par quelque endroits, assumer le romantisme et sa nature, faire sortir des cavernes les morts et les monstruosités – Goya ne donne-t-il pas pour titre à l’un de ses dessins Le Songe de la raison engendre des monstres ? – appeler l’Informe,  Sade et Bataille pour faire sortir de ses gonds la « petite mort » et son sperme noir.  À travers la vanité cette fois, évoquer la représentation de ce qui ne se laisse pas voir, « de la mort même à la mort rêvée, la mort même même. identique à elle-même » écrit Jacques Roubaud[3].

Dans ce voyage, il avait fallu écouter les pierres, observer des lueurs, reconnaître ou rencontrer les apparitions comme les disparitions, attraper la main, à travers la fenêtre  l’éblouissement et les mouvements de pénétration de la lumière. Est-ce du noir, de l’obscurité que la lumière émerge, ou se fait-elle connaître au contraire grâce aux variétés du spectre ? Un va et vient infini entre noirceur et clarté pâle habite ici les intentions. L’un ne saurait exister sans l’autre, bien entendu, mais peut être que ce noir dont on dit qu’il est aveugle possède une vue bien plus aiguisée.

Le surgissement de l’encre, ce sang sombre de l’écriture qui façonne les mots en images, se glisse parmi les pierres, biles, nuits, humeurs, voix, monstres, deuils, gouffres, mythes, qui sont autant de motifs contenus dans la proposition. De la couleur à la ressouvenance du texte de Jacques Roubaud, le noir en Rien[4]  comme empli de tout serait l’une des pistes pour aborder cette exposition qui, en juxtaposant œuvres contemporaines et anciennes, se voudrait l’occasion d’une errance à travers le noir et ses méandres. Une vingtaine d’artistes sont invités à s’immiscer parmi les œuvres de Victor Hugo, Hans Bellmer ou Fred Deux.

Éclairer les lueurs de l’obscur par l’image, fixe ou mouvante, mais aussi via le texte – qu’il soit lu ou écrit – par le son, la peinture ou encore le dessin, devait passer par la frontière.

La couleur, circonscrite à ses présupposées de non ou d’anti-couleur, porteuse d’autant d’images que d’évocations à une vision scotopique se révèle grâce à l’infime. Car si l’absence de perception n’est pas le noir, l’idée d’une adaptation progressive apparaît. Une vie s’ébat derrière les visibles et les voiles.

Pièces sonores, en volumes, sculptures, films et tirages accompagnent ce chemin aux abords mélancoliques. Mais une Melencolia (I)  à la Dürer (1514), où entre le polyèdre et la sphère, le « solide » symbole vient détourner le sombre.

Derrière la « petite république de la nuit », la mort, ce « pays dont on revient en perdant la mémoire »[5], traine avec elle images et spectres. Une progression dans la nuit des intimités et des fantasmagories. Une hyper-nuit, une ronde aux visages divers se décline entre une acception esthétique des possibles noirs et les résonnances à ceux, à ces Eux que l’on ne voit jamais. À ceux donc qui, captifs, demeurent inlassablement dans l’ombre, à l’Histoire noire qui oublie, qui s’oublie, à l’enfermement et aux obscurantismes de tous temps.

Ensuite le deuil, ce noir des liens intimes, d’images sous l’eau ou de maisons qui brûlent. L’objet qui revient à sa fonction d’objet, débarrassé de son empreinte et de celle d’un tiers. Tout cela devient un territoire qui se met à vivre jusque là. « L’inquiétante étrangeté », précise Marine Menès, « c’est quand l’intime surgit comme étranger, inconnu, autre absolu, au point d’en être effrayant »[6]. D’ici là, ne plus délimiter les contours de l’effacement et de l’insaisissable.

Un cycle de lectures viendra prolonger cette ambulation dans le dissimulé et ses nuances les mercredi 4 et 18 décembre 2019, ainsi que le mercredi 8 janvier 2020. En duo, Gladys Brégeon & Amaury da Cunha, Christophe Manon & Bertrand Rigaux, puis Doriane Souilhol liront des extraits de textes qui prendront corps tels des fantômes, le temps d’une lecture et d’une voix désormais performée.

Fanny Lambert

Commissaire de l’exposition

[1] Guy de Maupassant, Sur l’eau, in La Maison Tellier, 1876.
[2] Théorie développée par Freud. Sigmund Freud., « Das Unheimliche », in la Revue Imago, 1919, vol. V.
[3] Jacques Roubaud, Quelque chose noir, Gallimard, 1986, Paris, p.15.
[4] « Rien » est l’ultime poème du recueil de Jaques Roubaud Quelque chose noir. Ibid.,
[5] Extrait du film d’Alain Resnais et Chris Marker, Les Statuent meurent aussi, 1953.
[6] Martine Menès, « L’Inquiétante étrangeté », dans le cadre d’une publication sur « La lettre de l’enfance et de l’adolescence », ERES, n°56, 2004, pp.21-24. Martine Menès, psychanalyste, précise : « Quelque chose alors dépasse le sujet, quelque chose qui vient d’ailleurs, d’un Autre qui impose son obscure volonté ». Ibid.,

Vues de l’exposition ©Stéphane Gilbert

PhotoSaintGermain2019