Au milieu des choses – Benoît Blanchard

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Benoit Blanchard, Relevé #1, 2013, Crayon bleu sur papier canson, 50 x 150 cm. / Benoit Blanchard, Relevé BKY #7, 2013, Crayon bleu sur papier canson, 35 x 180 cm. (photo Martin Meyenburg)

à droite : Benoit Blanchard, Ecritures, 2013, Sanguine sur papier canson, 50 x 65 cm. (photo Martin Meyenburg)

Au milieu des choses

IN MEDIA RES

Benoît Blanchard

15 septembre – 18 novembre 2016

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Benoit Blanchard, Fragment pour un portrait #3 (tragédiens), 2015, Huile sur toile, 110 x 80 cm.

Mais si, après avoir fait toutes choses, la nature avait coutume de les réduire en atomes indivisibles, elle ne pourrait plus les reproduire, parce que la matière, qui demeurerait éparse, manquerait de tout ce que doivent avoir les corps générateurs, comme les différents assemblages, le poids, les rencontres, les chocs et les mouvements à l’aide desquels tous les êtres se forment.

Lucrèce, De Rerum Natura 1.

“Once more, if nature, creatress of things, had been wont to compel all things to be broken up into least parts, then too she would be unable to reproduce anything out of those parts, because those things which are enriched with no parts cannot have the properties which begetting matter ought to have, I mean the various entanglements, weights, blows, clashings, motions, by means of which things severally go on.”

Lucrèce, De Rerum Natura 1.

Au milieu des choses / IN MEDIA RES

Se pencher, observer, s’approcher de près des choses de la nature, se saisir de ces « atomes indivisibles » puis, la distance le permettant, rendre au monde les « êtres » tels qu’ils ont été traversés, transformés, rencontrés.

Loin de se présenter sous les traits d’un docte, Benoit Blanchard est de ces observateurs scrupuleux chez qui la science et l’érudition ne doivent jamais supplanter le reste. Bien que le langage et l’écriture fréquentent son art de concert, il semble qu’ils ne soient jamais mis au service d’une pure illustration mais bien d’un accompagnement aux tonalités poétiques. L’écrit est alors pour lui ce truchement à travers lequel il construit son appareil fictionnel. Et lorsqu’il lui arrive d’écrire sur d’autres2, il n’est plus question alors de le rapprocher de sa pratique. La langue,tout aussi volubile et imagée, demeure.

De ces mariages entre différents domaines émane une curiosité modeste, un tout qui ne doit en aucun cas trouver une source commune mais une alchimie ténue entre prose et retenue des formes. Il y a là comme un instinct en marche. Dessins, peintures, écrits et installations « figent (ensemble) un paysage autobiographique »3. Un panorama composé de petites « histoires naturelles » en puissance qui ne sont pas sans évoquer celles parachevées par Buffon dans son Histoire naturelle, générale et particulière4, et où chacune de ces observations ordinaires (bûches incandescentes, poutres, cadavres de mouches, langes, etc.) parait s’éloigner peu à peu de son caractère usuel, dans le seul but de servir ses capacités propres d’abstraction.

« Le moindre événement, une brève rencontre, la contemplation d’un mot, l’observation d’un objet, sont toujours pour lui des “incidents brillants de clarté formelle et au contenu impénétrable”. »5. En évoquant Samuel Beckett, dont les dessins de l’artiste se font un étonnant écho nous ramène à l’extrême précision de leur trait, à leur éminente « naturalité » – en ce qu’elle renvoie au caractère sauvage d’un environnement – mais aussi à une certaine forme de « naturalisation ». En lui conservant son aspect naturel, Benoit Blanchard s’empare du motif avant de le transformer en l’étirant jusqu’à une subtile irréalité. Telles Les Écritures et leur ton d’incarnat figurant des bûches en état de combustion, dont la représentation n’a de cesse de se soustraire peu à peu à l’objet initial.

Toute cette méticulosité déployée semble converger vers une ataraxie générale. Un état que Benoit Blanchard corrobore en quelque sorte en parlant d’un « pur plaisir d’observation »6 que suivent ses dessins. Et s’il réfute l’idée de série et lui préfère volontiers une attention particulière donnée à leur propre existence, c’est qu’à travers la pléthorique variation des formes répétées au sein des mêmes contraintes, s’éveille la pensée que le premier dessin soit ab ovo, la répétition de tous les autres. Selon le principe Deleuzien, chaque dessin devient pour lui une sorte de bouture se raccrochant l’un à l’autre : « À la fois de façon organique par le motif, le sujet, mais aussi à travers leur structure », explique-t-il. Ce pourquoi les oeuvres sont toutes, dans leur plus grande majorité, réalisées à l’échelle un. Afin de livrer toute la teneur de leur individualité malgré leur apparente similitude. Voici alors une végétation expansive à l’allure de Saxifrage se noyant dans un fond neutre ; ailleurs, une frise de mouches agencée en portée.

En peinture, il s’agit du temps. Un temps qui s’étire, mis au service de la fiction. Portraits, natures mortes ou folie végétale, « elles (les peintures) se regardent comme quelque chose d’oublié »7. Il y a pourtant cette proximité, due sans doute au recadrage systématique que l’artiste adopte, et qui resserre et fragmente les corps. Ainsi, le familier est tout près mais l’artiste préfère observer la façon dont il lui revient, une fois le vernis de la peinture déposé entre lui et ses modèles. En en faisant simplement des sujets qui pourtant ont recouvert d’autres existences et qu’il peut reconnaître. Entre visages intimes et sculptures antiques se loge un attrait pour les bas-reliefs, lesquels permettent de « complexifier la représentation via le dédoublement » et, enfin, d’opérer ce lien entre peinture et sculpture8.

Ensuite, la peinture fera office de réitération, de résonance, semblable à une note répétée indéfiniment à l’intérieur de chaque lieu de l’exposition. Un leitmotiv à travers un parcours dissonant, alternant espaces denses et vacants, jouant entre démesure, vacuité et curiosités.

Au milieu des choses, donc, le titre se réfère à une citation latine prélevée de l’Art Poétique d’Horace9. Procédé littéraire très usité dans le genre de l’épopée notamment (L’Iliade d’Homère), In Medias res10 « consiste à placer sans préalable le lecteur ou le spectateur au milieu d’une action. Les éléments qui précèdent n’étant relatés qu’après coup »11. Au théâtre, il permet en somme de rentrer de façon plus vivante et directe dans le coeur du sujet. De la même manière, l’installation Correction annonce par son évocation formelle, l’entrée en scène. En immense rideau de papiers dessinés et tressés, elle invite à découvrir progressivement le va-et-vient incessant que Benoit Blanchard organise entre figuration, observation et chimère. L’exposition, composée en partie de façon concentrique, souligne ce milieu mystérieux et vide qui tarde à se révéler. Ce n’est qu’à la fin du parcours que les personnages se laisseront dévoiler. Entre-temps, des anatomies « relevées » ont fragmenté la matière, et disséqué le vivant avant de le rendre à nouveau invisible.

Fanny Lambert, critique d’art et commissaire de l’exposition

1 Lucrèce, De Rerum Natura. I, v.630.
2 benoitblanchard.fr/oeuvres – Site critique sur l’actualité de l’art contemporain tenu régulièrement à jour par l’artiste.
3 benoitblanchard.fr/biographie – Site de l’artiste. Texte écrit par ses soins précisant sa démarche.
4 Buffon, Histoire naturelle, générale et particulière, avec la description du cabinet du Roi, 1749-1789, 36 volumes.
5 Samuel Beckett, Watt, 1969, Éditions de Minuit – Édition traduite de l’anglais. Extrait de la préface de l’édition de 1969.
6 Benoit Blanchard, benoitblanchard.fr/biographie Op.cit.
7 Ibid.
8 Notons l’inclination particulière que Benoit Blanchard cultive pour le XVIIIe et XIXe siècle.
9 Horace, Art Poétique. Difficile à dater, autour de 10 av.J.-C.
10 Qui signifie « Au milieu des choses ». Ibid.
11 Définition donnée d’après le Dictionnaire des termes littéraires, 2005, Entrée « In medias res », p. 253

In between things / IN MEDIA RES

Leaning, observing, getting closer to the elements of nature, getting hold of these “least parts”, and, should distance allow it, conveying to the world these “things” just the way they have been experienced, transformed, encountered.

Benoit Blanchard is not of the pedantic kind, he is one these scrupulous observers for whom science and knowledge must never replace the rest. Despite language and writing availing themselves of the entirety of his work, it seems as though they are never servicing a pure illustration, but rather an whole filled with poetic tonalities. Writing therefore becomes a means of expression through which he builds his fictional preparations, and when he happens to be writing about other artists2, it no longer becomes a question of associating him with his practices. Language remains, just as voluble and full of imagery.

A humble curiosity exudes from these unions among different fields, an entity that must never find a common source, instead, a barely perceptible alchemy between prose and the maintaining of shapes, as though there was an instinct up and running. Drawings, paintings, writings and installations “immobilise (together) an autobiographical landscape”3. A panorama composed of little and powerful “natural stories” alluding to those by Buffon in his Histoire naturelle, générale et particulière4, and wherein each one of these ordinary observations (incandescent logs, beams, fly corpses, cloth diapers, etc.) seems to, little by little, further itself from its conventional character, in the sole aim of serving its own abstraction abilities.

“Any minor event, a brief encounter, the contemplation of a word, the observation of an object, are for him inevitably ‘brilliant incidents of a formal clarity and impenetrable content’.”5. By citing Samuel Beckett, whom the artist’s drawings strangely relate to, we are brought back to the extreme precision of these drawings’ lines, to their prominent “naturalness”, insofar as it relates to the wild characteristics of an environment, but also to a form of “naturalization”. By preserving the natural aspect of the motif, Benoit Blanchard seizes it before transforming it, by stretching it into a subtle unreality; like Les Écritures, and their crimson color depicting combusting logs, whose representation never ceases to distance itself progressively from the initial object.

All this meticulousness seems to converge towards a general tranquility, a state Benoit Blanchard supports by describing the “pure pleasure of observation”6 traced by his drawings. He refutes the idea of a series, preferring a specific attention given to the individual existence of a work, because through the plethoric variation of repeated shapes withheld within the constraints, the thought that the first drawing might by ab ovo, or the repetition of all the others, is suggested. Following the Deleuzian principal, each drawing becomes, for Benoit Blanchard, a piece attaching itself to another: “Simultaneously organically through the subject’s motif, and through its structure”; hence why the works are all, in majority, created at life scale, in order to deliver the entire content of their individuality, regardless of their apparent similarities. On the one hand we have an expansive vegetation with a Saxifrage appearance drowning in a neutral background; on the other, a frieze of flies staged in a stave.

When it comes to painting, the artist deals with time, specifically a stretched timeframe serving fiction. Portraits, still life paintings, or plant filled follies: “the paintings are gazed at as something forgotten”7. There is nonetheless a sort of proximity, most likely the result of a systematic reframing undertaken by Benoit Blanchard, tightening and fragmenting the bodies. Consequently, familiarity is near, but the artist prefers observing the way in which it returns once the paint’s varnish is settled between him and his models, by simply painting subjects that have encompassed other existences and that he can recognise. Between intimate faces and antique sculptures lives an attraction for bas-relief, which permits “a more complex representation via a split in two”8, and, finally, creates an ability make use of the link between painting and sculpture.

Painting will then serve as a reiteration, a resonance, similar to an indefinitely repeated note within each room of the exhibition; a leitmotif with a discordant course, alternating between dense and vacant spaces, and playing with excessiveness, vacuity, and curiosity.

“In between things”, the title, refers to a Latin quote taken from Horace’s Ars Poetica9. A literary device used in the epic genre (eg. Homer’s Iliad), In Medias res10 “consists in placing the reader/spectator in the middle of the action without any preliminary information, the elements taking place prior only being revealed at a later time”11. In theatre, this device allows a propulsion into the heart of the action in the most alive and direct way. Similarly, the installation Correction announces, by its formal evocation, an entrance on stage. By means of immense paper curtains, drawn and braided, it incites spectators to progressively discover the incessant coming and going organised by Benoit Blanchard within figuration, observation and chimaera. The exhibition, constituted partly in a concentrated manner, underlines the mysterious and empty environment taking its time to reveal itself. Only at the end of the path will the protagonists reveal themselves. In the meantime, “picked-up” anatomies fragment the matter and dissect the live before making it invisible again.

Fanny Lambert, Art Critic and Curator

1 Lucretius, De Rerum Natura, I, l. 630; as translated by Hugh A.J. Munro.
2 benoitblanchard.fr/œuvres – regularly updated website by Benoit Blanchard for contemporary art news critiques
3 benoitblanchard.fr/biographie – artist’s website; extract translated from a text written by him, relating to his methods.
4 Buffon, Histoire naturelle, générale et particulière, avec la description du cabinet du Roi (‘Natural, general and particular History, with a description of the King’s study’), 1749-1789, 36 volumes
5 Samuel Beckett, Watt, 1969, Éditions de Minuit (translated from English) – extract taken from the French foreword of above edition, translated into English.
Benoit Blanchard, benoitblanchard.fr/biographie Op.cit.
7 Ibid.
8 It is worth noting the particular inclination Benoit Blanchard has for the 18th and 19th centuries.
9 Horace, Ars Poetica, difficult to date, believed to have been written circa 10 B.C.
10 Ibid. “in between things”
11 Translated definition from French, originally taken from the Dictionnaire des termes littéraires, 2005, entry: ‘in medias res’ (p. 253)